Carbonara sans crème, tiramisu sacré et pizza ancestrale ? Et si toutes ces certitudes sur la cuisine italienne n’étaient qu’un décor bien ficelé ? Une tradition bien moins millénaire qu’on ne l’imagine, et pourtant… on y croit dur comme pâte.
Une tradition culinaire plus récente qu’on ne le pense
La gastronomie italienne, telle qu’on l’admire aujourd’hui, semble inscrite dans le marbre. Des recettes intouchables, transmises de génération en génération, comme un héritage sacré. Pourtant, nombre de plats phares de cette cuisine ont une origine bien plus récente, et parfois même… étrangère.
Prenez la carbonara. Vous l’imaginez née dans les collines romaines, concoctée avec amour par une mama en tablier à carreaux ? Raté. Sa première apparition remonte aux années 1950, et pas en Italie : elle aurait vu le jour à Chicago. Quant au célèbre tiramisu, on le retrouve dans les livres de cuisine… seulement depuis les années 1980.
Un imaginaire culinaire construit… et entretenu
Derrière ce folklore bien huilé, un homme a osé lever le voile : Alberto Grandi, universitaire italien et auteur du livre “Denominazione di origine inventata”. Son constat ? Une bonne partie de ce que l’on considère comme “authentiquement italien” serait en fait le fruit d’un marketing culturel intelligent, porté par la mondialisation… et une diaspora qui a su exporter avec elle bien plus qu’un goût de tomate.
Son propos dérange, évidemment. En Italie, on ne touche pas à la cuisine comme ça. Mais il n’est pas seul à le penser. Des spécialistes de la gastronomie et de l’histoire, comme Nathalie Louisgrand ou Beniamino Morante, vont dans le même sens : ce que l’on prend aujourd’hui pour une tradition ancienne est souvent le fruit d’innovations récentes, normalisées par l’industrialisation et popularisées après la Seconde Guerre mondiale.
Ce que mangeaient vraiment les Italiens d’hier
Imaginer les Italiens des années 1950 débattre de la cuisson “al dente” relève du fantasme. Dans une Italie encore marquée par la pauvreté, la priorité était de se nourrir, point. La pizza, par exemple, était rare dans de nombreuses régions du pays — à l’époque, voir une pizzeria dans certaines villes du centre était aussi rare que de croiser un bar à sushis dans un village rural.
Et ce que l’on appelle “cuisine italienne” aujourd’hui est largement issue du sud du pays, alors même que ses spécialités n’ont commencé à se répandre partout en Italie qu’avec le boom économique des années 60-70.
Une nostalgie qui façonne l’assiette
Pourquoi ce mythe perdure-t-il alors ? Parce que l’histoire est belle. La cuisine est un refuge, un vecteur d’identité, un héritage affectif. Quand on vit loin de ses racines, comme beaucoup d’Italiens expatriés, on reconstruit une Italie idéalisée à travers des recettes — parfois inventées ou adaptées — qui deviennent des repères. Résultat : ce ne sont pas les produits qui manquent le plus à l’étranger, mais les recettes de la mamma.
C’est aussi une affaire de positionnement culturel. L’Italie a su faire de sa cuisine un symbole de raffinement, à l’image de ses vêtements, de son design ou de ses voitures. Le récit gastronomique italien est un atout économique, touristique, et même politique. Une forme de luxe accessible, à base de basilic et de parmesan.
Une fable universelle… et assumée
Et si ce mensonge collectif n’était pas un problème, mais une force ? La sacralisation de la cuisine italienne est peut-être exagérée, mais elle témoigne d’un respect profond pour l’alimentation. Peu de pays peuvent se targuer de résister, autant que l’Italie, à l’uniformisation des goûts. Le nombre de McDonald’s y reste faible, et les tentatives de chaînes étrangères comme Domino’s Pizza y ont échoué.
Alors oui, on a peut-être enjolivé l’histoire. Peut-être que la vraie mama italienne mangeait des pommes de terre et des fèves, pas des plats en sauce avec des noms en musique. Mais à la fin, on s’en fiche un peu. Ce qui compte, c’est ce que ces recettes racontent — même si c’est un peu romancé.
Et puis après tout, qui peut sérieusement dire non à un tiramisu, même au Nutella ? Surtout si ça nous fait croire, l’espace d’un instant, qu’on touche à quelque chose d’éternel. La cuisine italienne est peut-être un mythe… mais c’est un mythe délicieux.

Nils Franco est rédacteur web spécialisé dans l’univers du vin et de la cuisine œnologique. Grand passionné de terroirs, de cépages et d’accords mets-vins, il partage à travers ses articles une vision sensorielle et généreuse de la gastronomie. Son expertise couvre aussi bien la dégustation que l’art de cuisiner avec le vin, des sauces traditionnelles aux créations contemporaines infusées de tanins et de finesse aromatique.







